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Volume 1 « La Malédiction de Reflet »
Chapitre 1 « La serrure »
Publié par Théâs, le 25 octobre 2025

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Elle se trouvait là depuis des heures, prostrée dans un coin. Ses vêtements la tiraillaient, courbaient ses épaules et ses bras dans une position inconfortable que son souffle court ne lui permettait pas de contester.

Lorsque la lucarne étroite de la porte s’entrouvrait, elle perdait généralement le contrôle, trop malmenée pour comprendre et trop endormie pour protester.

Ce jour-là quelque chose avait changé, une voix inhabituelle prononçait des phrases qu’elle comprenait. Était-ce parce qu’il parlait anglais, comme elle ? Sans voir l’homme qui l’appelait par son nom, elle devinait qu’il n’était pas un monstre, qu’il n’était pas ce genre de chose immonde qui provoquait peine et colère, souffrance et cauchemar.

Sa geôle n’était pas très grande, bien que les murs fussent d’un blanc immaculé. On se chargeait de laisser pénétrer l’air frais chaque matin et chaque soir avant de l’endormir.

« M’entendez-vous ? »

Elle n’avait pas envie de lui donner satisfaction. Pas immédiatement en tout cas. Alors elle garda le silence, ajoutant à son rejet physique un mutisme singulier et lourd.

« Alice ? pouvez-vous me répondre ? »

Non, le rabroua-t-elle en pensée.

Sans le vouloir, elle avait levé les yeux vers lui ; elle ne distingua que sa silhouette auréolée d’une lumière terriblement douloureuse pour ses yeux clairs. En réalité, elle n’était pas habituée à regarder dans cette direction, vers la seule source de lumière naturelle. Elle se sentit mal, déséquilibrée, bien qu’elle fût assise.

Alice, puisque c’est ainsi que son nouveau tortionnaire décidait de la nommer, réprima un haut-le-cœur pour se concentrer sur la distinction de ses traits. Il lui parut moins monstrueux que les autres, plus humain.

Le contour de son visage était déformé par une mâchoire proéminente. Ou bien était-ce une barbe fournie ?

Vêtue de sa tenue, elle aussi, immaculée, il ressemblait aux autres.

« Je sais que vous m’entendez, miss Pennyworth. Aidez-là s’il vous plait. »

Les deux gorilles masqués qu’elle n’avait même pas vus au sortir de la cellule avancèrent d’un pas décidé et elle eut envie de hurler et de se mettre à pleurer. Qu’avait-elle bien pu faire pour mériter ce sort ? Soulevée du sol froid par les épaules, elle redoubla d’efforts pour cacher ses émotions.

Son nouveau tortionnaire n’avait décidément rien de monstrueux ; son regard était doux et son expression neutre la rassura. Il portait une paire de binocles qui le vieillissait, mais il n’en demeurait pas moins plus jeune que son prédécesseur.

« Miss, je sais que vous m’entendez et que vous me comprenez. J’aimerais que vous me fassiez un signe si vous le voulez bien. »

Elle opina dans un effort qui lui parut surhumain, trop effrayée pour résister aux deux affreux monstres qui la tenaient debout ; elle pouvait à peine sentir le sol sous ses pieds nus.

« Bien, concéda le geôlier. Vous promettez de vous tenir debout seule ? »

Elle approuva en baissant son regard en direction du sol. Il lui sembla affreusement bas de sa position.

L’homme fit signe aux monstres de relâcher leur étreinte et ils lui obéirent en silence. Tandis qu’elle retrouvait le confort d’avoir les pieds sur terre, Alice s’interrogea silencieusement sur les raisons qui avaient poussé son ancien tortionnaire à céder sa place, mais fut coupée dans ses réflexions par la voix apaisante de l’homme qui ne cessait de l’observer.

« Je suis le docteur Heart, je prends vos soins en charge désormais. »

Alice déglutit avec difficulté et, à moitié perdue dans un instant d’égarement, il lui sembla qu’une ombre s’était invitée derrière lui ; elle n’en laissa rien paraître et lui fit signe qu’elle avait entendu.

« Vous voulez bien vous asseoir, maintenant ? »

La jeune femme sentit les pieds de la chaise buter contre ses mollets, sans doute avancée par l’un des monstres qu’elle avait perdus de vue.

L’homme drapé d’une longue veste immaculée l’imita et, tandis qu’elle réfléchissait à une situation qui s’éclaircissait légèrement, elle comprit qu’il allait l’interroger.

« Vous souvenez-vous de votre arrivée ici Alice ? »

Elle approuva distraitement, son regard balayant la pièce comme si elle la découvrait pour la première fois.

« Je préférerais entendre votre voix. »

Elle soupira, mais se mit à imaginer que fournir un effort jouerait peut-être en sa faveur.

« Je… m’en souviens, dit-elle, hésitante.

— Et que vous inspire votre arrivée. La trouvez-vous pertinente ? l’encouragea-t-il avec douceur.

— Je ne suis pas… à ma place… ici. » balbutia-t-elle pour toute réponse.

Heart porta son regard sur un étrange carnet à reliure de cuir et griffonna sur les pages au fur et à mesure. Son prédécesseur n’avait jamais été aussi attentionné à son égard.

« C’est ce que vous pensez ?

— On m’a enfermée… pour… »

Elle se tut, la gorge serrée par un sanglot qui tardait à venir.

« Ce n’est pas grave Alice. Nous ne faisons que discuter, mettre des mots sur vos pensées pour vous aider. »

Elle voulut se dégourdir les bras enfermés depuis trop longtemps dans la chemise désagréable. Le tissu lui picotait la peau, la chatouillait ou la brulait parfois.

« Respirez doucement, » lui conseilla Heart.

Elle ne lui répondit pas, trop occupée à contenir sa tristesse et sa colère.

« Pourquoi ne me laissez-vous pas tranquille ? murmura-t-elle.

— Je suis ici pour vous aider Alice. Pas pour vous mettre en danger.

— Pourquoi m’enfermez-vous, alors ?

— Je viens de vous le dire : pour vous protéger. »

Elle réfléchit et trouva sa réponse à la limite du grossier. Peut-être n’était-il finalement pas mieux que son prédécesseur ?

« J’aimerais que vous réfléchissiez à la raison de votre présence. Savez-vous où vous êtes ? »

Elle se renfrogna et chercha désespérément à éviter de lui répondre, à fuir son regard inquisiteur qui la mettait si mal à l’aise. Suis-je la seule à le trouver impoli ? pensa-t-elle. Et en même temps je doute… Pourquoi ce doute m’envahit ?

« Je sais que vous vous sentez encore perdue… Mais rassurez-vous, vous devriez y voir plus clair dans les jours à venir. Et je serai présent pour m’assurer que l’on vous traite mieux. »

Il avait cette expression étrange sur le visage qu’elle n’avait jamais vu. Ou pas depuis bien longtemps. Alice bredouilla un remerciement et il se leva de la chaise en bois clair qu’il replia. Armé de son carnet, du crayon et de l’assise, il avait l’air bien moins effrayant qu’auparavant.

Alice scruta son regard contre son gré et délogea quelque chose de plus sincère. Peut-être enfin pourrait-il m’aider ? songea-t-elle avec détachement. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son ne s’en échappa, comme si une malédiction la tenait mutique.

Les deux monstres s’en furent à sa suite, emportant avec eux la chaise sur laquelle elle avait pris place et elle se retrouva de nouveau seule dans sa prison. Elle se laissa retomber contre le mur capitonné et glissa difficilement dans un froissement de tissu avant de rencontrer le sol.

Suis-je prisonnière ? éluda-t-elle silencieusement. Ils me traitent comme telle, mais je sais ce qu’ils cherchent à faire en vérité… Ils veulent que je leur livre la clé…

Ma clé.

Un rire lui échappa et étira ses lèvres sur ses dents trop blanches elles aussi. La douleur revint progressivement avec la conscience de son environnement. Si elle demeurait perpétuellement plongée en plein cauchemar, Alice parvenait à analyser sa situation avec plus de clairvoyance qu’avant. Du moins le pensait-elle.

Après trois jours à souffrir dans le silence de sa cellule, Heart reparut à la porte. Elle regretta presque l’image décalée qu’elle s’était imaginée de lui en son absence ; la réalité était sans doute un peu différente, moins idéale.

Il avait de hautes pommettes et des yeux clairs comme elle n’en avait jamais vu. Son corps paraissait trop mince sous la blouse blanche et l’aspect terne de sa chevelure châtain lui ôtait tout éclat.

« Bonjour Alice, dit-il sur un ton neutre.

— Bonjour docteur Heart.

— Vous vous souvenez de mon nom… Je suis agréablement surpris », la félicita-t-il.

Alice s’en fichait à dire vrai. Son seul désir était de recouvrer sa liberté, fuir cet endroit maudit où elle vivait recluse dans une cellule pas plus grande qu’un cagibi. Vivre était d’ailleurs un bien grand mot pour désigner son existence.

Elle avait encore de grandes difficultés à mettre de l’ordre dans ses souvenirs. En fermant les yeux, elle parvenait tout de même à imaginer ces choses qui la hantaient.

« Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? lui dit-il une fois assis.

— Mieux, je crois.

— Avez-vous envie de me parler un peu plus de vous, Alice ? »

En aucune manière, pensa-t-elle.

Après quelques instants d’un silence pesant, Heart reprit la parole :

« Il y a quelques jours je vous demandais si vous saviez où vous vous trouvez. Pouvez-vous répondre à cette question, Alice ? »

Elle le pouvait, mais pas sans peser ses mots et évaluer les risques que cela ne provoquât une nouvelle envie de la plonger dans un état semi-végétatif.

« L’institut, bredouilla-t-elle avec appréhension.

— Nous avançons ma chère. Bien. »

Alice ne voyait pas de raison de se réjouir de sa situation, quand bien même elle évoluait dans sa compréhension du monde qui l’entourait. Elle se sentait humiliée, trahie.

« Vous souvenez-vous pourquoi vous êtes ici ?

— Je suis… »

Elle marqua une pause, comme si elle cherchait ses mots en laissant ses yeux vagabonder sur le décor grisâtre de sa cellule.

« … fatiguée. »

Les sourcils du médecin se froncèrent tandis qu’il écrivait dans son carnet. Il levait sur elle un regard neutre dont elle ne parvenait pas à définir le sens. S’agissait-il de pitié ? De contrariété ? Ou bien un mélange des deux ?

Lui expliquer que les monstres tapis dans les pires recoins de son esprit l’avaient traumatisée enfant validerait sans doute la justesse de son enfermement. Il ne tenait pas à participer à cette folie.

Et puis, il était encore moins nécessaire de préciser même qu’ils continuaient de la hanter, chaque fois qu’elle se trouvait seule au milieu de la nuit. Chaque fois qu’elle baissait sa garde.

« Je ne voulais faire peur à personne. »

Il griffonna à nouveau dans son carnet. Alice était contrariée de ne pas savoir ce que le médecin y décrivait. S’agissait-il de transcrire leurs échanges ou posait-il un diagnostic ? Pensait-il vraiment ce qu’il disait ou n’était-ce là que des paroles destinées à endormir sa méfiance ?

Elle en douta pendant un instant, puis sa voix la tira de ses réflexions :

« Vous évoquez la réception de votre père qui a précédé votre arrivée au sein de notre établissement, n’est-ce pas ? »

Elle opina du chef et prit une profonde inspiration, comme si elle s’apprêtait à lui avouer un secret douloureux.

« J’aimerai… Je… Mon père, comment va-t-il ?

— Je sais que vous avez probablement beaucoup d’interrogations après ces semaines passées sous traitement… Mais concentrons-nous sur vous, si vous le voulez bien. »

Alice avait reçu une éducation classique et stricte dans ses jeunes années, suivant des cours de maintien, de diction et d’une absolue nécessité pour les filles de bonne famille. Son père l’avait exigé.

De cette époque, ne demeuraient plus que des bribes d’un passé qui lui paraissait terriblement lointain et décousu. Elle prit sur elle pour ne rien laisser paraître, et reprit calmement :

« J’ai bon espoir de pouvoir guérir.

— N’allons pas trop précipitamment Alice. Comme vous le savez, votre chemin sera long et difficile, mais je ferai mon possible pour vous soutenir. Tant que vous montrerez de la volonté en tout cas. »

La jeune femme soupira, soulevant difficilement la chemise en toile ; ses bras entravés appuyaient sur sa poitrine, de sorte qu’elle ne pouvait jamais véritablement inspirer à fond.

« Puis-je savoir ce que vous attendez de moi, Docteur ? souffla-t-elle emprunte de désespoir.

— Nous sommes au début d’un nouveau traitement passant essentiellement par la libération de la parole. Et je suis ici pour vous guider sur le chemin de la guérison.

— Comment puis-je guérir d’un mal dont je ne me sens pas atteinte ?

— C’est la première partie de mon travail : évaluer votre mal et vous aidez dans le cheminement vers une nouvelle liberté. »

Sa dernière phrase éveilla en elle une profonde interrogation : se pouvait-il que Jameson fût ce genre d’homme ?

Que sait-il vraiment de moi ? se demanda-t-elle sans détour. Dans le meilleur des cas, il était une pauvre victime de la machination qui l’avait conduite entre ces quatre murs, dans le pire l’un de ses principaux tortionnaires.

« Nous avons tous au fond de nous une serrure, quelque chose qui verrouille notre passé lorsque celui-ci est trop douloureux à supporter.

— Je suis navrée, dit-elle sincèrement. Mais je ne comprends pas ce que vous attendez de moi.

— Alice, vous êtes ici depuis longtemps et je doute que votre conscience soit aussi verrouillée que vous essayiez de me le faire croire. »

Elle sentit ses joues rosir. Son interlocuteur n’était pas aussi dupe que les autres.

« J’ai l’intime conviction que votre passé est dur et que vous souhaitez probablement ne jamais l’évoquer à nouveau. Cependant, pour avancer, vous aurez besoin de comprendre ce que votre inconscient renferme et ce que signifient les images dont vous aviez gratifié l’assistance de votre père lors de cette soirée. »

Elle ne trouva pas les mots pour lui exprimer combien il la mettait mal à l’aise. Elle aurait voulu le lui dire. Et lui asséner une gifle dont il se souviendrait toute sa vie au passage.

Mais elle ne le pouvait pas. Penser à la réception organisée par son père, Richard, la plongea dans un état de profond mal-être, de honte même.

Alice restait prostrée dans son silence, les mains crispées sous l’étoffe de toile rugueuse.

« Retirez-lui la camisole, s’il vous plait.

— Mais il a été spécifié que…

— Êtes-vous médecin ? »

L’individu était l’un des gardes postés de chaque côté de la porte à chacun de leurs entretiens. Dans de pareilles circonstances, Alice pensait que ces hommes n’étaient pas autorisés à entendre ce que le patient disait au médecin responsable de son traitement, mais elle savait que rien n’était comme il aurait dû l’être dans cet endroit.

Elle voyait au-delà des apparences, derrière le voile qui séparait la réalité d’une autre version de celle-ci. L’absence de sédatifs dans son sang lui permettait au moins de voir clair dans sa situation, même si elle n’était pas encore certaine de pouvoir prétendre être saine d’esprit. D’ailleurs, elle-même en doutait par moments.

L’armoire à glace qui entretenait un soupçon de pression sur elle rien qu’en imposant sa présence s’approcha et força la jeune femme à se mettre debout. Il passa derrière elle et Alice entendit un cliquetis quand ses bras se déplièrent enfin.

La douleur qu’elle avait alors ressentie était comparable aux courbatures provoquées par la maladie : ses bras étaient douloureux et elle en venait presque à regretter qu’on lui retirât la chemise de privation. La douleur s’atténua dans les minutes qui suivirent, bien après que le gorille dont le visage lui apparaissait toujours aussi monstrueux s’en était retourné à son poste l’habit de torture entre les mains.

« Je veux que vous compreniez Miss, que je ne suis pas votre ennemi. Ma tâche est de vous aider, si ce n’est à guérir, au moins à comprendre ce qui vous occasionne tant de maux.

— Je vous remercie pour la chemise…

— Vous devez me promettre de rester vous-même, voulez-vous ?

— Bien sûr, merci Docteur Heart… »

Une chose était certaine à présent, il n’avait visiblement pas l’accord de ses geôliers pour agir avec tant de liberté.

« J’aimerais que vous me racontiez ce dont vous vous souvenez, Alice. »

Nous y voilà… pensa-t-elle. Quelle que soit la personne qui se trouvait en face d’elle, la patiente avait la sensation que tous s’intéressaient davantage à ce qu’elle avait vécu pendant ses années d’absence qu’à sa condition véritable. À son bonheur.

Cela commença avec son père qui n’eut de cesse de la harceler afin qu’elle lui racontât comment elle avait survécu et ce qu’il était advenu de son épouse. Alice n’avait pas le cœur de le lui dire, peut-être qu’elle-même avait du mal à comprendre ce qui lui était arrivé.

Elle hésita un long moment et sans doute trop de temps, car l’heure vint pour le médecin de la quitter. Pourtant, il avait un air satisfait en quittant sa cellule quelques minutes plus tard et malgré l’œillade infecte que lui jeta le garde monstrueux, Alice en retira une étrange satisfaction.

Les jours suivants furent plus simples pour Alice, car Heart ne lui demanda pas une seule fois d’évoquer son passé. Ils se contentaient de bavarder, de trouver des points de repère et de noter quelques phrases à la volée dans son mystérieux carnet.

Le cinquième jour, qu’il identifia comme un vendredi, il demanda aux monstrueux molosses de quitter la cellule. Ce qu’ils firent après quelques contestations et grognements.

« Nous sommes seuls à présent. Vous n’avez plus d’excuses pour ne pas commencer à évoquer votre histoire Miss Pennyworth. Je ne vous jugerai en aucune façon. »

Alice soupira.

« Ces deux brutes ne vous entendront pas en dehors de cet… endroit. »

Elle réprima un sourire. Finalement, ils parlaient peut-être un langage commun.

« J’aimerais que vous me fassiez confiance, Alice.

— Je suis certaine que vous avez pris connaissance des notes de votre prédécesseur.

— Il est vrai que j’ai eu accès à certaines de ses archives. Mais, de vous à moi, il était loin d’être extraordinairement organisé. »

Cette fois, elle ne put contenir un vague sourire qu’il nota immédiatement dans son carnet sans même poser les yeux sur le papier ou ce qu’il y transcrivait.

« Vous êtes différents des autres, ici, dit-elle pour s’expliquer.

— Sans doute. En quoi me pensez-vous différent ?

— Vous avez l’air plus… humain. »

Elle regretta instantanément d’avoir prononcé ce mot, de peur qu’il ne soit interprété et d’avoir commis l’erreur permettant à quiconque de lui prescrire de nouveau ces fichues pilules colorées.

« Je sais que ce monde peut vous paraître terrifiant, mais vous n’avez rien à craindre. Je suis ici pour vous comprendre et vous aider à vous y retrouver. Par pour vous juger. »

La jeune femme reporta son regard sur ses pieds nus. Elle avait froid et sa peau blanche, si ce n’était pas blême, lui donna l’impression de n’être plus qu’un sac d’os.

« Pourquoi pensez-vous que les autres ne sont pas humains ?

— Leurs visages… Ce sont leurs visages… »

Le bruit de la mine de graphite sur le papier prenait de plus en plus d’ampleur autour d’elle. Alice avait la sensation de perdre le contrôle de la situation. De trop se livrer.

Elle ne voulait pas lui en dire plus, mais quelque chose la poussait à le faire en dépit de ses tentatives pour ne pas s’épancher davantage sur ses pensées.

« Leurs visages sont difformes, Alice ?

— Ils le sont tous, lâcha-t-elle comme si un poids disparaissait avec ses paroles.

— Y avait-il des monstres à la réception de votre père ? Vous souvenez-vous de cette nuit-là et de la manière dont vous êtes rentrée chez vous ?

— Non. J’étais dans la forêt et j’avais froid. Très froid.

— Et que faisiez-vous ?

— Je courrais… Je voulais rentrer depuis longtemps… Mais je ne pouvais pas.

— Les monstres vous en empêchaient-ils ? »

La jeune femme était prise d’une violente migraine, comme si son corps lui hurlait de ne pas aller plus loin dans ses souvenirs. Un mur épais entravait ses pensées, gardant ce passé inaccessible et chaque tentative pour y accéder la faisait terriblement souffrir.

Le verrou était sur le point de céder. Chaque pièce de son passé replacée au bon endroit fracturait cette muraille mentale. Bientôt son passé se déroulait devant elle comme un roman dont on découvre l’histoire sans pouvoir s’arrêter.

« Les monstres me retenaient là-bas.

— Dans la forêt ?

— Dans le royaume. »

Elle porta aussitôt une main devant sa bouche, comme pour empêcher plus de mots d’en sortir. Ces souvenirs étaient à la fois familiers et lointains, comme si elle avait levé un voile couvrant cette partie de sa mémoire qu’elle se plaisait à ignorer depuis toujours.

Comme si rien de tout cela n’avait vocation à être rapporté ou évoqué.

« Voulez-vous bien me parler de cet endroit ? »

La dernière fois qu’elle avait osé évoquer les choses de son passé, elle était droguée et incapable de retenir les réponses aux questions du prédécesseur du docteur Jameson Heart. Il s’en était d’ailleurs servi pour encore plus la contraindre, jugeant ses paroles à la fois dangereuses et synonymes d’un profond désordre mental. Tant et si bien que sous l’influence de la médication, elle avait fini par y croire et sombrer dans un monde plus terrifiant encore que ce qu’elle avait cru jusque-là.

Alice ouvrit les yeux sur Jameson qui se tenait assis et le dos bien droit sur sa chaise inconfortable.

« C’était un endroit froid et sombre. Rien n’y poussait. Rien n’était vivant là-bas.

— Et ces monstres que vous évoquiez s’y trouvaient n’est-ce pas ?

— Tous les monstres s’y terrent. »

Il griffonna quelques notes supplémentaires puis tourna une nouvelle page de son livret. Alice ne s’en souciait plus guère à présent : Jameson l’avait poussée à embrasser pleinement ce qui avait forgé son enfance et cristallisé son futur dans cette sordide prison.

« Saviez-vous que bien souvent, nos souvenirs se détraquent avec le temps ? Nous perdons l’essentiel de ce que nous croyons avoir vu et vécu pour n’en retenir qu’une vague impression qui s’impose comme une réalité implacable.

— Ce monde n’était pas une image… Tout y était détraqué, à l’envers, comme si… »

Elle s’arrêta au beau milieu de sa phrase comme pour rechercher le mot le plus approprié. Ses yeux parcouraient le vide, mimant la lecture rapide de pages d’un livre invisible.

« Comme si vous étiez en enfer ? »

Ces simples mots trouvaient un écho dans son esprit. Ses prunelles bleues se figèrent sur le visage du médecin en blouse blanche. Alice ne bougeait plus.

« Ce monde était bien pire… »

Une larme perla sur sa joue.

Évoquer le passé était aussi douloureux que de le découvrir pour la première fois. Un à un, les verrous dont son esprit avait paré sa mémoire disparaissaient et dévoilaient un peu plus ce passé qu’elle redoutait tant d’affronter.

« Les choses que j’y ai vues m’ont terrifiée…

— Tout cela est derrière vous à présent. Nous pouvons travailler ensemble à ce que vous domptiez ces choses qui vous hantent et vous empêchent d’avancer. »

La jeune femme avait souri par gène, comme pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas compris ce qu’elle tentait de lui expliquer.

« Ce monde a existé, affirma la jeune femme, mi-abattue, mi-contrariée. Et il finira par me rattraper, ce n’est qu’une question de temps.

— Miss Pennyworth, ce monde représente quelque chose d’enfoui dans votre passé. Un événement ou bien un moment qui ont bouleversé votre psyché.

— Je ne suis pas démente ! »

Elle n’avait pas crié, mais sa voix s’était brusquement endurcie. À tort, sans doute. Elle regretta aussitôt.

« Votre santé n’est pas en cause, temporisa Heart avec le plus grand calme et un sourire qui suffirent à calmer sa relative agressivité. La démence est la conséquence d’une affection et ce n’est pas ce dont vous souffrez.

— Tout cela est compliqué, docteur.

— Vous me parliez des monstres que vous avez vus ici tout à l’heure. Sont-ils encore présents ?

— Ils sont sortis lorsque vous le leur avez demandé. »

Jameson eut un regard plus intrigué et Alice ne sut s’il s’agissait de la traduction de son intérêt ou de la surprise. Elle se sentait détenir une information et une certitude que son interlocuteur n’était pas en mesure de comprendre.

« Parlez-moi encore de cet endroit Alice, des personnes que vous y avez rencontrées ?

— Je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes là-bas. J’étais emprisonnée comme je le suis ici et depuis l’accident. »

Il nota les faits et arqua un sourcil en relavant son nez pour la regarder. Il était circonspect. Était-ce parce qu’elle avait évoqué l’événement ?

« Vous souvenez-vous de l’accident ?

— La voiture… Je me souviens que nous sommes tombées, mère et moi. La porte s’est ouverte… »

Il était pour elle bien plus difficile d’évoquer ce souvenir que son lent passage dans le royaume. Le bruit du bois cédant sous le poids de leur véhicule, le hennissement terrifié de l’attelage plongeant dans le vide… Les yeux de sa mère pendant la chute.

Tout se cristallisa dans son esprit comme un ensemble de photographies ou de portraits esquissés par un peintre. Les larmes et les cris mêlés s’entrechoquaient dans sa mémoire, reflétant la douleur d’un passé qu’elle regrettait d’avoir retrouvé.

« J’ai perdu connaissance. »

A nouveau une larme perla sur sa joue, bientôt suivie par d’autres. Alice les essuya du revers de la main et reporta un regard mouillé au médecin.

« Votre mère a-t-elle… »

Il marqua une pause pour chercher ses mots et ne pas paraitre trop brusque avec sa jeune patiente. Ce fut ce qu’elle en retint en tout cas, bien qu’elle ne fût pas certaine que ce fusse par gentillesse ou pudeur.

« Mère m’a réveillée alors que nous nous trouvions en ce maudit Royaume, cernée par les monstres. Ils dévoraient nos chevaux et… »

Alice s’interrompit à son tour pour cacher son trouble et contenir sa tristesse.

« Elle m’a sauvée. »

La jeune femme tortillait ses doigts en tous sens dans le vain espoir de dissiper la tension que les souvenirs faisaient ressurgir de façon incontrôlée. Les gestes étaient inconscients et elle s’en rendit compte lorsqu’elle aperçut le regard de l’homme de science sur ses doigts entortillés.

Elle n’aimait pas se sentir aussi vulnérable et sensible face à un inconnu. Même si un lien s’était progressivement tissé entre le médecin et sa patiente, elle n’avait confiance en personne.

« Vous êtes en sécurité ici, Alice. Personne ne vous fera de mal, je vous le promets.

— Vous n’avez aucune idée de ce qui rôde dans ces couloirs, docteur. Ce monde a peut-être cessé d’exister, mais les monstres qui s’en sont échappés, eux, sont bien vivants. »

Il eut un sourire compatissant, comme tout être doué de compassion et de sensibilité en aurait eu, mais à coup sûr il n’en avait cru aucun mot. Si sa préoccupation n’avait pas été ailleurs, Alice aurait été en colère contre lui, l’aurait probablement supplié de la croire avant de s’emballer et de ravaler sa colère.

Oui, mais voilà. Alice avait ouvert la porte de son passé et malgré l’obscurité qui y demeurait tapie, elle s’était libérée d’un poids devenu trop important pour sa conscience et pour son corps. Quelque chose avait changé.

Peut-être un espoir de se pardonner ?

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