Il était une fois une enfant que l’hiver n’avait pas oubliée.
Le cocher s’affairait à encourager les chevaux récalcitrants dans un décor enneigé. La calèche en bois verni traversait le chemin à la hâte, ses occupants pressés par le temps qui se dégradait de plus en plus. Dans la cabine, les passagères se trouvaient recroquevillées, se protégeant du froid du mieux qu’elles le pouvaient.
« Nous serons bientôt arrivées, Alice, » promit Maman de sa voix douce.
La fillette avait l’habitude des voyages en calèche entre la maison en ville et la demeure de campagne familiale, mais cet hiver avait été plus brutal et rigoureux que tout ce qu’elle avait pu retenir de sa brève expérience. Le temps changeant les avait obligés à prendre la route avant que la tempête prévue ne s’abattît sur la région.
En ces temps troublés, il n’était pas rare que la ville s’agite dans un soubresaut de panique. Père était resté à Londres pour gérer les affaires courantes et siéger au Conseil, mais il avait exigé un départ précipité afin que Maman mène Alice « en lieu sûr ».
Bien sûr, du haut de ses sept ans, la fillette n’avait pas compris l’urgence de la situation, ni même ses implications. Les domestiques s’étaient absentés dernièrement, et le personnel de maison se faisait rare dans la froideur d’un hiver qui semblait s’éterniser.
« Madame ! » s’enquit le cocher depuis son siège haut perché.
Maman tira une petite trappe, laissant s’engouffrer un courant d’air aussi glacé que brulant. Alice resserra la couverture autour d’elle si bien qu’elle n’entendit aucun mot de la brève conversation entre sa mère et l’employé.
« Alice, ma chérie, lut-elle sur les lèvres de Maman. Viens à côté de moi, la route est très ennei—. »
Alors que la fillette s’était levée, la cabine fut secouée en tous sens.
Le hennissement des chevaux, les cris du cocher et ceux de sa mère se mélangèrent au fracas du bois sur le sol. Alice se sentit ballotée comme une poupée de chiffon et perdit connaissance.
À son réveil, elle sentait à peine le froid mordre sa peau et sa vision troublée ne lui permettait pas de comprendre où elle se trouvait. La neige était partout. La relative obscurité de la fin d’après-midi projetait autour d’elle les ombres menaçantes des arbres endormis par l’hiver.
Elle entendit un grognement dans le silence effroyable, si bien que, pendant un instant, même le vent cessa de siffler dans les branches dégarnies. La fillette retomba sur la neige molle avec l’irrésistible envie de s’endormir à nouveau.
Quelque chose de grave était arrivé et le sang empourprant la couche glacée et immaculée marqua son esprit dans les derniers instants.
Et si tout avait commencé à cet instant, dans la neige lorsque, pour la première fois, elle avait fermé les yeux sur le monde ?